Dans l'article /entreprise-publique nous avons montré qu'il est dans l'intérêt de la collectivité d'entretenir une économie mixte fondées sur trois principes :
l'État favorise la création de petites entreprises privées, notamment via l'allocation universelle du modèle synthétique ;
l'État dispose de plusieurs entreprises publiques dans chaque secteur économique, de sorte que ces entreprises nourrissent la concurrence, non seulement entre elles, mais aussi envers les grandes entreprises privées de leur secteur ;
les entreprises publiques sont 100 % propriétés de l'État, qui met fin aux partenariats public-privé (PPP), ... ainsi qu'aux délégations de service public (DSP).
Dans le présent chapitre, nous allons montrer que le statut de coopérative publique est particulièrement bien adapté pour réaliser ces objectifs.
La coopérative publique opère la collectivisation du PGPC (propriété, gestion, production, contrôle) comme suit :
la démocratie est assurée par la non spécialisation des fonctions de gestion et de production (tous les coopérateurs participent à la production et à la gestion) ;
le contrôle (conseil d'administration) est assuré par l'ensemble des citoyens, via une procédure de référendum automatique.
Idéalement, dans une démocratie directe idéale, les entreprises publiques devraient être gérées sous statut de coopératives publiques, tel que proposé dans la présente section.
N.B. À ce jour, nous n'avons pas trouvé de pays où existe un statut de coopérative publique tel que proposé ici.
La coopérative publique, telle que nous la concevons dans le cadre d'un système politique de DD, est une construction juridique par laquelle l'État (c-à-d, en DD, l'ensemble des citoyens) (i) détient in fine la "propriété lucrative" de la coopérative, et (ii) accorde temporairement la "propriété d'usage" aux coopérateurs.
Rappelons ces notions juridiques :
Ainsi, par "propriété lucrative" non entendons fructus + abusus.
Exemples :
Ainsi la "coopérative publique" est définie en terme de propriété lucrative (fructus + abusus)) et de gestion (usus) :
Propriété : la coopérative est intégralement propriété de l'État (central ou local), qui se limite à déterminer les grands objectifs visant à garantir l'adéquation des activités de la coopérative avec sa politique économique (nationale ou locale).
L'État contrôle donc le conseil d'administration de la coopérative publique, puisqu'il détient la totalité de son capital.
Gestion : la gestion quotidienne de l'entreprise est assumée collectivement par les salariés selon les principes suivants de la DD :
Comme le synthétise le tableau ci-dessous, il s'agit donc – "tout simplement", et fort logiquement – d'appliquer au niveau de la coopérative publique les principes du niveau national de la DD (cf. /définition).
On peut voir aussi l'État comme la méta-coopérative publique nationale.
La coopérative publique : une organisation élémentaire de la DD
Propriétaire : État | > | Gestionnaires : coopérateurs |
National : la votation citoyenne prime sur la délégation au conseil d'administration | Local : la votation coopérative prime sur la délégation au comité de direction |
Deux exemples pour une lecture intuitive du tableau ci-dessus :
un exemple important de votation coopérative concerne la distribution d'éventuels dividendes à l'État (seul actionnaire) vs leur utilisation pour des investissements.
un exemple important de votation citoyenne concerne la création/fermeture d'une coopérative publique :
Les critères de rentabilité publique et position non-dominante sont déterminés collectivement, via un processus à spécifier par les groupes constituants concernés (cf. /groupes-constituants). Ces critères sont alors inscrits dans des contrats intelligents qui, dès que les critères ne sont plus vérifiés, déclenchent automatiquement une votation pour valider la nationalisation/fermeture de l'entreprise concernée (cf. /referendum-automatique).
Dès lors que les coopérateurs gèrent collectivement (en mode 1 coopérateur = 1 voix) l'entreprise publique dont ils ont la charge, ils décident donc notamment du niveau de salaire de leur coopérative, identique pour tous ses salariés (NB : ... et éventuellement différent d'autres coopératives publiques du même secteur, c-à-d concurrentes).
La participation à la gestion et aux résultats (via la détermination du niveau salarial) induit une plus grande motivation que dans le secteur privé. Cette motivation est en outre complétée par la satisfaction de travailler pour l'ensemble des citoyens plutôt que pour enrichir un propriétaire privé.
Apparaît alors de façon évidente l'avantage de la coopérative publique sur l'entreprise privée. Alors que la logique privée est de produire pour s'enrichir (au plus vite), en minimisant les salaires (sauf ceux des dirigeants) et la qualité des biens & services (cf. l'obsolescence programmée), la logique de la coopérative publique est inverse. Il s'agit de s'enrichir pour produire, en réalisant le meilleur arbitrage entre l'intérêt de l'ensemble des citoyens (rapport qualité/prix) et ceux des coopérateurs (salaire suffisant et sentiment d'utilité pour la collectivité).
La coopérative publique permettant ainsi de combiner économies d'échelles et approche artisanale, les grandes entreprises privées vont enfin être confrontées à une véritable concurrence, lorsque sera instauré le principe de la coopérative publique !
Mais leur utilité ne se limite évidemment pas à stimuler la concurrence. Dans la section suivante, nous allons montrer que les coopératives publiques sont plus efficaces que les coopératives privées pour appliquer la DD dans les organisations, qu'elles soient locales ou globales.
L'Alliance coopérative internationale (ACI) est une organisation privée, dont la définition de la coopérative (privée) a été introduit dans Recommandation 193 de l’OIT, ce qui lui confère, sinon une valeur juridique, au moins une valeur de référence. L'ACI énonce des grands principes coopératifs de base. Pour des définitions plus précises, il faut se référer aux législations nationales. Dans le présent chapitre, nous nous référons à deux pays : la France et la Belgique.
Pour être reconnue comme coopérative pouvant bénéficier, à ce titre, des avantages fiscaux spécifiques, l'entreprise privée doit généralement répondre (notamment) aux critères suivants [source] :
La crise financière de 2008 (dite "des subprimes") a montré que des coopératives privées (en l'occurrence, des banques) connaissent les mêmes travers que les sociétés non coopératives : logique névrotique du "toujours plus", maximisation du profit immédiat, investissements trop risqués, pratiques frauduleuses, salaires exorbitants auto-attribués par les dirigeants, etc [source].
Cette distance entre réalité et idéal coopératif réside évidemment dans le point trois ci-dessus : dès lors qu'un seul salarié-associé peut détenir une part déterminante du capital, celui-ci en devient le dirigeant officieux, car à tout instant il est en mesure de menacer de se retirer (et d"ainsi provoquer la faillite de la coopérative) si les autres associés ne votent pas dans le sens souhaité par lui.
Conclusion : la DD a besoin de coopératives publiques !
Cependant, bien que le statut de coopérative publique nous rapproche de l'idéal coopératif (c-à-d égalitaire/démocratique), celle-ci demeure soumise, tout comme la coopérative privée, à la nature inégalitaire des capacités humaines (physique et surtout intellectuel). Ainsi l'égalité dans le pouvoir de décision n'implique pas en soi l'égalité dans le pouvoir de réalisation.
Les différentiels de capacité de travail physique et (surtout) intellectuel entre coopérateurs peuvent avoir sur le partage effectif du pouvoir de réalisation – et partant sur le pouvoir de décision, via la réputation – des effets très semblables aux différentiels de capital financier.
Potentiel humain. Les capacités intellectuelles ainsi que la taille et qualité des réseaux relationnels sont parfois appelés "capital humain". Cependant la capacité manuelle (la dextérité) fait appel aussi bien aux capacités physiques qu'intellectuelles. S'agissant de processus vivants (et humains en l'occurrence) nous les considérerons comme du travail (potentiel), et non comme du capital. Nous parlons donc de "potentiel humain" plutôt que de "capital humain".
Cependant, le potentiel humain ne peut-être intégralement partagé de façon égalitaire : certains apprennent mieux que d'autres, et disposer de spécialistes est utile. Mais d'autre part, un niveau suffisant de culture générale chez l'ensemble des coopérateurs est également nécessaire pour la motivation, la cohésion et la cogestion.
Il importe donc de tendre vers une répartition optimale du potentiel humain entre les coopérateurs. La formation permanente – c-à-d la création de potentiel humain – joue ici un rôle déterminant. C'est la question de la répartition des tâches au sein de l'entreprise, donc de la structure organisationnelle et donc du management. Qui décide quoi ? Or la problématique de l'organisation du travail est étroitement intriquée avec celle du contrôle du capital, et cela dans une société dont l'évolution est marquée par :
Cette dynamique ne peut être étudiée avec les seuls outils théoriques des sciences "exactes" (physique, mathématiques, ...) mais doit incorporer la notion de classe dirigeante et de lutte des classes. Les stratégies appliquées (ou non ...) par les parties jouent ici un rôle perturbateur. Des exemples de telles stratégies sont les nouveaux concepts tels que "entreprise libérée", "holacratie", "agilité", "transversalité", etc, développés dans les écoles de management et par de grandes sociétés de consulting, et que nous sommes invités à considérer comme des évolutions démocratiques alors que, loin d'une évolution émancipatrice, il s'agit en réalité de techniques visant in fine à accroître la soumission des membres d'une organisation à un leader charismatique (cf. vidéo suivante). Dans cette propagande, la problématique essentielle, à savoir la propriété privée ou collective de l'entreprise, est quant à elle passée sous silence, et notamment le fait que le fructus et l'abusus demeurent au main des propriétaires privés (cf. supra #modele).
Des méthodes managériales pour renforcer la subordination des salariés (8m14s - 2018)
Le passage au statut de coopérative est souvent une réponse à la décisions de fermeture de la part d’actionnaires jugeant la rentabilité insuffisante.
Cependant, ce passage n'est pas facile, notamment parce que l'idéal coopératif correspond à une culture du collectif (cogestion et partage) qui est difficilement compatible voire incompatible avec la logique de division du travail, hiérarchie et maximisation du profit (des dirigeants, notamment en minimisant le salaire des employés ...). L'analyse de cas de passage au statut de coopérative révèle systématiquement la prégnance du facteur culturel : on ne se libère pas du jour au lendemain de ses habitudes de suivisme (employés de base) ou de dirigisme (cadres supérieurs). Apprendre la culture coopérative requiert un temps d'adaptation et d'apprentissage. On est en fait ici dans une problématique de mode de vie et de culture, qui déborde du cadre strictement professionnel.
Le passage au statut de coopérative constitue donc un bouleversement organisationnel et culturel. Les coopérateurs doivent être en mesure de relever divers défis [source] :
vaincre la résistance des managers au changement de culture, et neutraliser le risque qu'ils reprennent le pouvoir par des voies détournées ;
maîtriser les compétences de base pour chacun des départements de la coopérative (production, finance, marketing, ressources humaines, juridique, ...) et les outils pour une participation efficace à la gestion collective (logiciels de travail collaboratif, ...) ;
Ce troisième point est évidemment largement déterminé par le précédent.
Voir aussi
Parmi les mesures pour relever avec succès les défis identifiés dans la section précédente, nous proposons de remplacer chaque directeur de département par un coopérateur "délégué", tiré au sort dans un pool de coopérateurs candidats, disposant des compétences de base (ils doivent avoir suivi une formation conçue spécifiquement pour les délégués de département de coopérative), avec rotation annuelle (le but étant que la formation de base soit complétée par la pratique partagée par rotations).
Ne dites plus "directeur". Le terme de "directeur" est désormais remplacé par celui de "délégué", mais la fonction qu'il assume est bien une fonction de direction. Il est à la fois délégué (dimension politique) et directeur (dimension opérationnelle), mais il est primordial d'exprimer la primauté du politique (le but) sur l'opérationnel (le moyen).
En outre, chaque délégué est secondé par un "conseiller permanent" (CP), qui peut être soit l'ancien directeur du département soit un spécialiste provenant de l'extérieur. On peut le voir comme le chef de cabinet d'un ministre.
Sur le long terme, chaque coopérateur qui accède à un poste de délégué compense son déficit de savoir par rapport au conseiller permanent du département, par ses connaissances globale de l'entreprise. Le corollaire est évidemment que les CP ne peuvent jamais assumer de fonction de délégué.
On distingue donc dans ce système deux types fonctionnels de coopérateurs :
Enfin il n'y a pas de délégué général. Cette fonction est exercée par le comité des délégués de département (CDd) ou par l'assemblée générale des coopérateurs (AGc), les votations par l'AGc l'emportant sur celles du CDd.
Notons enfin que l'AGc comme le CDd peuvent fonctionner en présentiel aussi bien qu'en virtuel :
Commençons par constater qu'il existe très peu de références au concept de "coopérative publique" [vérifier], pour lequel il ne semble pas encore exister de statut légal spécifique.
Il existe actuellement dans divers pays des statuts que l'on pourrait qualifier "d'étapes vers la coopérative publique".
France :
Au début des années 2000 a été créé le statut de "société coopérative d'intérêt collectif" (SCIC). Contrairement à la SCOP qui fut historiquement une initiative de travailleurs (cf. les Équitables pionniers), la SCIC est une initiative politique. L'objectif est de favoriser l'interaction et des synergies entre l'ensemble des parties prenantes du développement d'une localité : salariés, clients, usagers, riverains, fournisseurs, collectivités territoriales, entreprises, associations, bénévoles, etc. Ainsi des parties prenantes externes à l'entreprise bénéficient généralement d'un droit de vote, et peuvent même détenir des parts (notamment les pouvoirs publics).
À leur création en 2001, le secrétaire d'État à l'économie solidaire prévoyait la création de 2.000 SCIC dans les deux ans [source p. 6]. Mais fin 2015 il n'y en avait que 500 [source]. Le nombre de SCIC augmente constamment mais beaucoup plus lentement que prévu.
Une étude publiée en 2009 montre que les activités des "entreprises sociales" peuvent être réparties en quatre groupes : l'insertion professionnelle, le développement durable, la gestion des biens communs et les synergies d'activités. D'autre part il subsiste une certaine disparité dans les distances à l'idéal coopératif et sociétal [source].
En Belgique, l'association sans but lucratif (ASBL) Smals fournit des services informatiques aux seules administrations de l'État belge. Cependant, bien que ses membres sont tous des organisations publiques, Smals est soumise au droit privé [source] – ainsi son personnel a un contrat de travail avec Smals - source) – et n'est donc pas une ASBL publique. En tant qu'association de frais, Smals fournit à ses membres uniquement des services qu'elle facture au prix de revient [source].
Conclusion : qu'il s'agisse de la propriété (toujours possiblement privée) ou de la gamme des activités (limitée), on est donc loin de la coopérative publique telle que nous l'entendons (cf. #modele).
Dans sa proposition de "salaire à vie", Bernard Friot, professeur émérite de l'université de Nanterre propose de « supprimer la propriété lucrative tout en généralisant la propriété d'usage ». Chaque citoyen devrait être propriétaire (ou co-propriétaire) de son outil de production et de son logement. L'important est qu'on ne puisse s'enrichir par la propriété (de moyens de production, terrains, immeubles, monnaie, brevets, ...) mais par son seul travail.
Le principe de propriété d'usage signifie : « que nous ne tirons aucun revenu de cette propriété, et qu’elle n’est transmissible que comme propriété d’usage. Pas de parts sociales cessibles (qui donnent droit, aux sociétaires, à des dividendes) comme dans trop de coopératives : dès qu’on est embauché, on entre dans l’entreprise avec tous les droits d’un copropriétaire (décision sur l’investissement, le produit, la hiérarchie, le collectif de travail…), sans nécessité d’un quelconque apport autre que celui de son travail, et quand on la quitte, c’est sans autre enrichissement que celui d’une progression salariale, si on a pu passer une épreuve de qualification grâce à l’expérience acquise » [source].
Le fait que la suppression de la propriété lucrative et la généralisation de la propriété d'usage n'auront de sens que si cette dernière n'est génératrice d'aucun autre revenu que celui du travail (le salaire), est pleinement cohérent avec le fait que ce n'est pas l'entreprise qui paiera les salariés copropriétaires mais la caisse nationale de cotisation salariale. Friot précise que cette centralisation du paiement des salaires est fondamentale car elle s'oppose à « l'allocation microéconomique de la valeur ajoutée par les entreprises », fondement des « institutions du capital » La propriété d'usage atteste en effet de l'autorité partagée à décider de ce que l'entreprise va produire, comment, à quels prix, etc. [source p71.].
Notre proposition de coopérative publique diffère donc de l'approche Friot par le fait que les salaires des coopérateurs sont déterminés par chaque coopérative (donc aussi par le marché). On pourrait cependant créer deux types de coopératives publiques, selon que le paiement des salaires est "ex post et décentralisé" (et déterminé selon les résultats de chaque coopérative) ou "ex ante et centralisé" (et géré par la caisse nationale de cotisation salariale).
Question ouverte : dans le cas "ex ante et centralisé", le niveau salarial doit-il le même pour toutes les coopératives publiques ?
Soulignons enfin que Friot ne dit rien quant à la façon dont la société pourrait passer de la "propriété lucrative" à la "propriété d'usage". Une réponse est proposée par Jacques Berthillier : le principe de non‐transmission héréditaire du capital productif. L'État en deviendrait propriétaire et le mettrait en location [source]. Lorsque ce capital productif est une entreprise ses salariés pourraient alors en devenir locataires.
Pour approfondir sur l'approche de Friot : allocation-universelle.net/modeles-politiques#communiste
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Auteur : F. Jortay | Contact : | Suivre : infolettre